+ Quelle est ta région d'origine ? Y es-tu encore ?
Celle qui a porté les premiers pas de Teb s'appelle
Arne, la grande dame : Arne, celle qui ne tombera pas, jamais, faite de roc et de souffle, alchimie majestueuse de la nature. Et si son corps est grandiose, oeuvre d'art architecturale, en courbes et droites modelé, insaisissable, alors son esprit est puissant, et offre à toutes âmes porteuses de l'élément venteux l'espoir nécessaire à la vie. Le jeune homme y sera toujours attaché, presque autant qu'au territoire entier,
Sterenn , seul endroit où il est possible de murmurer aux astres et, parfois, d'entendre leur chant en réponse. Que l'Ouest est doux à son coeur! Comme il aime y revenir.
Mais ça n'est plus là que se trouve sa place, pas depuis qu'il l'a quitté dans son enfance pour rejoindre la cité cosmopolite, célèbre et seul lieu où les Hommes sont Humanité, et non pas en quatre divisés. Les Fanior représentent les dirigeants de Sterenn à
Lucrezia, et c'est là qu'il vit depuis maintenant plus d'une quinzaine d'années. Cependant, depuis quelques jours, il est rentré au pays et vit à nouveau dans la capitale de l'Air pour des raisons de sécurité: le déménagement précipité est d'ailleurs très mal vécu, puisque le jeune politicien a laissé des personnes chères derrière lui, à Dahud, et ne peut s'empêcher de s'inquièter.
+ Parle-moi de ta famille, et de ton lien avec elle.
Si souvent Teb a suscité de longues controverses dans son cercle proche, son homosexualité étant par ailleurs la cause première et principale, jamais il ne s'est senti plus heureux qu'en présence de sa famille, et
rien n'est plus sacré à ses yeux (et aux leurs aussi, il lui semble) que ces liens puissants, qu'on ne brise ni ne rompt, qui les unient les uns aux autres. Plus encore que ces parents, auxquels il voue une forte admiration et une indéniable reconnaissance (leur éducation a fait d'eux des gens cultivés et réfléchis), le coeur du jeune homme est animé d'un fraternel, bienveillant, complice amour pour ses frères et soeurs, sans qui il ne se croit pas capable de vivre.
Ces derniers temps pourtant, une atmosphère froide règne entre lui et son grand frère, Darrel. Ces deux-là s'éloignent de plus en plus et ne se parlent presque plus, si peu: certaines choses sont difficiles à accepter, et l'orientation sexuelle de Teb en fait partie, malheureusement. Sinon, Teb apprécie chaque personne de sa famille, même s'il ne connaît pas forcément aussi bien qu'il le voudrait tous ses cousins et consines. Parmi ceux-là, cependant, se trouve un être que le jeune homme trouve perfide: Sorus Totam, cher cousin, pour qui se développe une méfiance mauvaise et exacerbée; le moindre mouvement hors du droit chemin de sa part et les haines et tensions s'enflamment.
+ Si tu pouvais aller dans une autre région d'Oranda, où irais-tu et pourquoi ?
Le choix est dur à faire, tout ce qui est inconnu est intéressant, toute découverte est la cause d'émerveillement. Vainui, royaume polaire, à la légendaire blancheur, voilà qui serait impressionant, et les récits de longues chaines de maisons surélevées sont fort aguicheurs, autant qu'enfin voir des glaciers. Mais à l'Est, Gorka, qui a inspiré maint contes, oui, Gorka attire attention et attise curiosité, et quel rêve serait-ce que d'assister au crépuscule là-bas, et de regarder la vie s'illuminer, les arbres, les plantes: voir le monde devenir lumière!
Mais jamais un de ces voyages ne serait un départ définitif, et y habiter ne traverserait pas l'esprit du jeune homme, qui ne s'imagine pas vivre ailleurs qu'à l'Ouest ou à Dahud.
+ Quel est l'élément que tu haïs au plus haut point ? Pourquoi ?
Pour les côtoyer lorsqu'il le faut à Lucrezia, le benjamin de la branche majeure des Fanior connaît chaque élément, et les caractéristiques, les principes, les valeurs propres à chacun: si chaque individu est différent et unique, ils sont rassemblés et ressemblants grâce à leur don, et il en découle des similarités parfois frappantes. Les Eau ne l'effrait pas, il se retrouve dans leur sens de la justice, leur droiture, et seule la force tranquille, impitoyable de l'élément l'inquiète.
Ceux qui manient la Terre, eux, lui sont agréables de par l'importance qu'ils donnent au respect, mais plus encore à la fraternité, centrale valeur. Sterenn étant formé de montagnes, de forêts, la terre en elle-même ne lui apparaît pas directement comme une ennemie.
En vérité, il n'aurait probablement pas autant de bons sentiments pour ces deux éléments si
son aversion pour les Feu n'étaient pas si grande. Il semble à Teb que, depuis toujours, ils n'ont engendré que le chaos, ils ne sont voués qu'à détruire, et il suffit de si peu, si peu pour souffler leur raison... Ces gens-là sont définitivement plus dangereux que les autres, et sa méfiance s'accroît de manière incontrôlée et inconsciente lorsque le jeune homme en croise un.
+ As-tu un secret ? Un secret dont personne ne devrait en entendre parler ?
Le secret de l'Air ne devrait pas en être un, et il regrette chaque jour de ne pouvoir être lui-même, sans restriction, chaque jour, sous le soleil, là, au milieu de tous, au milieu des foules. Il regrette de ne pouvoir aimer comme les autres peuvent le faire, et il aimerait tant pouvoir marcher dans les rues d'Arne, sa main dans celle de son amant, de pouvoir l'embrasser, de sourire contre ses lèvres, là, devant tout le monde. Hélas, et c'est pire encore en tant que futur représentant en chef des dirigeants de Sterenn,
son homosexualité doit rester cachée , dans l'ombre,
promise à la nuit et au mensonge seulement.
Révéler une telle information créerait un scandale sans fin, l'emporterait dans de terribles tourmentes, flots et spires mortels, et briserait la confiance et le respect offerts par le peuple à sa famille. Il prie Jalahiel que sa relation avec Brilek n'en soit pas ou peu affecté, et son amour par cette dissimulation jamais atténué.
+ Quel est ton rôle au sein de ta région ?
Teb est un politicien, une sorte de diplomate, de conseiller, tout cela à la fois, parfois plus, parfois moins: il est en fait un des représentants de l'Ouest d'Oranda. Les missions et ordres sont divers, donnés par les dirigeants de la République de l'Air, Livius Othin et Elwyn Valior. Si, pour l'instant, il ne s'occupe que de tâches mineures, étudie encore, et assiste surtout ses parents, le jeune homme se destine à être représentant en chef avec sa soeur, Skynen Fanior. C'est là leur héritage familial.
+ Si tu devais assister à une mise à mort injuste qui mettrait en danger un innocent, que ferais-tu ?
Une des plus grandes peurs du jeune politicien est de ne pas être infaillible, de trahir ses engagements, de ne pas respecter ses valeurs et principes; cela signifierait ne pas réagir dans une situation pareille, sous la pression du peuple, de la foule, de violences sauvages, alors qu'une sentence de mort est prononcée injustement contre un innocent, cela signifierait ne rien faire, ne rien dire. Une scène comme celle-ci hante ses nuits, et lorsqu'il le confesse à son amant ou à sa plus grande soeur et collègue, ils le rassurent, lui disent qu'il s'élèvera contre pareille ignominie, qu'ils en sont sûrs. Si eux semblent persuadés, lui doute profondément.
Cependant, on lui rappelle aussi que c'est lui qui prononcera les sentences plus tard, et qu'il n'aura pas à empêcher l'injustice si lui-même est droit, juste.
+ Que penses-tu de la séparation entre les éléments ? Crois-tu que cela est normal, ou contre-nature ?
Le jeune adulte considère que chaque personne est intéressante et a des connaissances et capacités à apporter aux sociétés, qu'il y a de nombreuse choses à apprendre les uns des autres: c'est ainsi qu'on l'a élevé. Cependant, la séparation des éléments est un fait ancré en lui, il n'imagine pas Oranda autrement. Skynen lui reproche d'ailleurs parfois d'être conservateur à cause de cette opinion. Pourtant, il lui semble être assez juste quand il dit que leurs trop nombreuses et trop profondes différences, mélangées sans limite et de manière démesurée, pourraient avoir des conséquences dévastatrices. La meilleure solution, jusqu'à présent, reste des frontières fermées, des peuples non pas divisés mais rassemblés selon un ordre raisonnable, avec pour but la protection et le bonheur de tous les Hommes, et un seul lieu de réunion, une seule convergence, certes nécessaire, où échanger afin de préserver la paix.
+ Crois-tu en l'existence de l'élément Matière ?
L'existence d'un cinquième élément, plus puissant que tous les autres, est, à ses yeux, une fantaisie, utilisée pour faire peur aux enfants. Et il ne nie pas que, dans son jeune âge, certaines histoires l'aient effrayé (Zalis, son père, est très bon conteur, ceci expliquant cela). Pour l'instant, il n'y croit pas, il rira sûrement si quelqu'un clâme et maintient son existence devant lui. "Je n'attends que de le voir de mes propres yeux!" vous répondra-t-il pour plaisanter, sans y mettre une once de conviction.
+ Si tu devais défendre quelque chose, une idée, un concept, une valeur ? Et si tu devais t'opposer à quelque chose ?
Teb le sait bien, il l'observe chez ses parents chaque jour que les Dieux font, il l'a vu chez Livius, gouverner n'est pas chose aisée et les convictions s'émoussent au contact du pouvoir et des durs choix. Il y a chez ces gens une forme de lassitude dans leur manière d'espérer, et si le jeune homme rêve d'une éducation égale pour tous les jeunes, enfants et adolescents, avec l'intime croyance que la société n'en sera que meilleure, s'il se plaît à imaginer la misère écrasée par l'entraide, la fraternité (surtout à Dahud), il sait que ces songes n'ont que peu de chances d'un jour se réaliser. C'est en outre un peu contradictoire de sa part de vouloir une communauté lucrézienne solidaire alors qu'il fera toujours passer Sterenn avant tout, dans ses décisions comme dans son esprit. Parfois, aussi, en secret, silencieusement, il aspire à un monde où les homosexuels n'auraient pas à se cacher et seraient tout autant acceptés que les autres. Mais tant d'autres valeurs résonnent tendrement en lui, tant de vertues qu'il considère essentielles; des longues listes pourraient être faites, mais il faut probablement principalement citer la loyauté, la liberté, la justice, l'honnêteté, la sécurité...
En revanche, si le jeune Fanior le pouvait, il s'opposerait fermement à la dictature du Sud, qu'il trouve simplement immorale. Le principe du régime totalitaire est qu'il n'a pour objectif que sa propre croissance, et que cela entraîne la répression des pensées et réflexions des populations qui s'opposent: cela est intolérable aux yeux du politicien.
+ Si tu devais me raconter un événement du passé...
Teb se souvient encore de ce moment... Quand était-ce? Quel âge avait-il alors? Dix-sept, dix-huit peut-être? Comme chacune d'entre elles ces temps-là, la journée du futur représentant en Chef de l'Air avait été longue, son déroulement fasitidieux: les leçons n'en finissaient plus, la pratique n'avait aucune place et ses heures semblaient rythmées par la suprématie de la théorie, encore et encore. Il lisait livres sur livres, traités sur traités, discours sur accords, lois sur lois, et cela ne finissait que tard, à l'heure où le soleil rencontre les montagnes et s'y échoue, fatigué de son éternelle fuite. Il avait cherché Neellek, son aîné de deux ans, pendant presque une heure dans toute leur demeure, et l'avait finalement trouvé assis sur la rambarde d'un balcon ornée de feuilles et de fleurs de pierre. Il s'était assis à côté de lui, épaule contre épaule, âme contre le vent, corps contre le vide.
Chacun plongé dans ses pensées, perdus dans les hautes spires de leur imagination, l'esprit vagabond, chacun dans l'attente patiente de l'autre.
Le benjamin des Fanior pensait à son ami de longue date, avec qui, enfant déjà, il passait tout son temps libre, et son visage s'était teinté de la tendre couleur rosée de la naïveté, tandis qu'un sourire discret flottait sur son visage. Son image ondulait à la surface de son coeur.
Neellek l'avait alors interrompu, amusé, le laissant pétrifié, confus et surpris. Il partageait avec sa fratrie des liens fusionnels et complices, si bien qu'ils le connaissaient quelquefois plus que lui-même ne se connaissait. Avec eux, il se sentait à la fois vulnérable et protégé, intouchable. Neellek était le pire de tous: le plus doux, le plus bienveillant, le plus attentif. Il lui avait fait remarqué que lire en ses pensées étaient si facile, qu'il faisait toujours la même tête lorsqu'il pensait à Brilek.
Son approche n'était pas agressive, et ses intentions jamais mauvaises, jamais envers ce petit frère qui tentait de le protéger, quel comble, quelle ironie. Teb n'a pas oublié l'éclat de vérité que lui avait ce soir-là offert son frère, ne l'oubliera jamais. Cette exclamation inattendue... La voix résonne encore aujourd'hui dans sa tête lorsqu'il se la remémore.
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Oh, Teb, j't'en prie: tu sais toi-même que vous êtes trop proches pour que ça ne soit que de l'amitié. Je n'te juge pas, petit frère, Papa et Maman le feront, Darrel aussi sûrement, Skynen peut-être, mais tu es un Fanior, tu es notre frère, leur fils, et il n'y a rien de plus sacré que ça. Ils te désapprouveront, moi pas. Tant que tu gardes ça loin des affaires publiques, tu es libre d'aimer qui tu veux. Sans lui laisser le temps de répliquer, il avait ajouté:
Non! Je me fous de ce que tu veux répondre, je voulais juste que tu le saches. Simplement sois prudent, fais attention à toi, à ce que les autres savent de toi. Stupide qu'il était, Teb avait répondu quelque chose comme
"Je ne vois pas de quoi tu parles.", avant d'être rattrapé, assailli par la douloureuse sensation de ressembler exactement à cette personne basse qu'il se refusait à être chaque matin, celle qu'il se promettait de ne jamais devenir chaque soir. Son mensonge l'étouffa, il avait senti ses longues tentacules s'enrouler autour de lui, de son cou, de ses côtes, et intérieurement, il suffoquait sous son poids. C'était évident, depuis longtemps, et se battre contre l'idée d'aimer un homme lui prenait tant d'énergie, de plus en plus, et le cacher à ses proches devenaient un fardeau immonde: il avait l'impression de trahir ses propres valeurs. Il était lentement tombé amoureux de Brilek, aussi difficile cela était à admettre et à accepter.
Neellek posait une main sur son épaule et serrait, d'une pression légère, fraternelle, et à travers ce geste, il lui transmettait toute sa fierté, son amour, son courage; parfois, le silence, aussi pesant, aussi douloureux soit-il, se suffit autant à lui-même qu'aux autres: cette fois-là, tout avait été dit, et les mots n'étaient plus utiles.
Ils s'étaient souris une dernière fois, fatalement, tristement, avant que Neellek s'éloigne, passe la haute porte, passe les longs rideaux de soie, avant qu'il ne se retourne une dernière fois:
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Bonne soirée petit frère, ne réfléchis pas trop tard. Teb regarda un instant les cieux, le monde s'illuminer une dernière fois avant de s'éteindre; la voûte céleste plongeait lentement dans l'obscurité oppressante, froide: lui en sortait à peine. Il aimait Brilek. Il se le répéta dans son esprit, et lentement, le mensonge desserra son emprise, recula, disparut.
+ Quel est l'impact des récents événements sur ta vie ?
Les récentes tensions qui ont animé les nations l'inquiètent, la soudaine montée de la violence et les attentats et pulsions passionnelles sauvages dans les rues de Lucrézia-la-misérable, suprême berceau de la bassesse, l'ont fait redouté la fin de la paix. Par-dessus tout, l'assassinat d'Osrian Birghild, dont les Airs sont soupçonnés, l'a pris de court et forcé à quitter Dahud pour rejoindre Sterenn. Il réside désormais et provisoirement à Arne avec sa famille. Brilek, son petit-ami, à décider de rester, et il a dû le laisser là-bas, à Dahud. S'ils entretiennent une correspondance épistolaire, Teb craint pour sa vie. On lui reproche d'ailleurs d'être distrait et déconcentré en ce moment: malheureusement, son amant est constamment dans ses pensées et la peur lovée confortablement dans son ventre.
De plus, il pense que leur fuite sera considérée comme un aveu de culpabilité, même si elle avait pour simple but de prévenir de dangereuses représailles qui n'auraient qu'empiré la situation. Cela n'empêche qu'il est persuadé de leur innocence et qu'il enquête de son côté pour découvrir la vérité. Peut-être n'est-il néanmoins pas encore prêt à l'entendre, ni lui, ni aucun autre.
+ Une dernière chose...