+ Quelle est ta région d'origine ? Y es-tu encore ?
Je suis née à Vainui, dans le nord. Une bonne partie de ma famille y est encore, pas moi. Peut-être est-ce dû à mon départ précipité, forcé ou a des souvenirs plus anciens, mais je ne garde pas de ma terre d’origine un souvenir étincelant. Le froid, la modestie des habitants, cette spiritualité quasi permanente, il y a bien longtemps que j’ai effacé les choses qui me plaisaient sûrement à une époque. Pourtant, le sud de Dahud n’est pas des plus accueillants, dangereux, mal famé, j’ai fini par m’y faire ma place et au fond, je crois bien que c’est ce contraste entre le territoire de l’eau et la rue des plaisirs qui m’y fait sentir bien.
+ Parle-moi de ta famille, et de ton lien avec elle.
Nous ne nous sommes pas adressé la parole, vu ou effectué un quelconque contact depuis l’année de mes quinze ans. Je n’ai aucune idée de ce qu’ils sont devenus et je me suis plus ou moins convaincue que cela ne me faisait rien du tout. J’étais pourtant plutôt proche de ma grande sœur et de ma mère, moins de mon père qui entouré de filles s’était toujours tenu bien haut perché dans son rôle de patriarche. Nos relations déjà s’étaient dégradées alors que les années passaient et que jamais je n’avais éprouvé la moindre étincelle ni le moindre frisson indiquant que je me découvrirai un jour un don. Au final, j’ai décidé de partir, mais j’ai la certitude qu’ils m’auraient mis à la porte si j’avais eu le malheur de passer mon test. Aujourd'hui, ma famille ce sont les filles de la maison Ismor, Chenoa que je protège du mieux possible et les autres.
+ Quel élément t'a été attribué lors de la Cérémonie ? Que ressens-tu vis-à-vis de ton don ?
Je n’ai pas assisté à la cérémonie. A quoi bon ? D’aussi loin que je me souvienne et malgré les espoirs que j’ai pu avoir, je savais pertinemment que je ne développerai pas de don. Ma mère n’a jamais voulu me croire, répétant que mon manque d’affect par rapport à l’eau ne voulait pas dire que je n’en aurais aucun avec les autres éléments. Pourtant, je le savais bien, je suis différente. Les éléments, les dons et toutes les histoires qui les entourent sont au fond bien loin de moi et de mes préoccupations.
+ Si tu pouvais aller dans une autre région d'Oranda, où irais-tu et pourquoi ?
Surement à l’Ouest, quoique l’Est paraît assez intéressant également. L’idée de l’air souffle comme une certaine liberté à mes oreilles et les gens de part là bas m’ont toujours paru plus indépendants et moins perchés que ceux de Vainui. Au fond, je crois que si j’en avais la possibilité, si je pouvais me balader sans la peur de me faire contrôler, je passerai un peu de temps dans chacune des régions. A découvrir ce que chacune a offrir. Et sûrement que je reviendrai à Dahud une fois mon voyage terminé, car il n’y a de toutes manières peu d’endroit faits pour moi à Oranda. Et qu’au fond, j’aime l’animation et le danger permanent qui m’entourent.
+ Quel est l'élément dont tu te méfies au plus haut point ? Pourquoi ?
Le feu, bien que leur Dieu soit en fait celui auquel je m’identifie le plus finalement. Surement parce que j’ai grandi à Vainui et que la crainte du peuple du Sud était omniprésente. J’ai gardé en moi les mots de mes parents et leurs injonctions à éviter cet élément destructeur et incontrôlable. Il m’est arrivé parfois d’espérer un jour développer ce don, à la fois fascinée et effarée par les flammes et quelque part, dans l’idée de me rebeller face à l’autorité parentale. Aujourd’hui, j’évite plus facilement le peuple du feu, me méfiant des gens du sud, sans pour autant être bien certaine d’avoir une réelle raison à cela.
+ As-tu un secret ? Un secret dont personne ne devrait en entendre parler ?
Tout le monde a des secrets. Certains les lui chuchotent en pleine apothéose, bien calés entre ses reins. Elle en entend d’autres lâchés comme de par hasard au détour d’une ruelle. Et il y a ceux qu’elle garde précieusement, qu’elle n’avouerait pour rien du monde et qui la réveillent parfois au détour d’un mauvais rêve. Il y en a des innocents, comme son rêve de trouver un homme doté d’un don, qu’elle épouserait et qui lui permettrait de vivre normalement, dans des bras protecteurs et si possible avec des caisses remplies d’or. Mais il y en a des plus sombres, comme celui qui lui fait honte et la dérange, souvenir de ses six ans. Cet adolescent en avait alors quinze et semblait vouloir fuir le jour du test. Plus tard elle comprendrait qu’ils étaient les mêmes et elle s’en voudrait encore plus de l’avoir laissé se noyer alors qu’il venait de glisser dans ce cours d’eau déchainé.
+ Quel est ton rôle au sein de ta région ?
Je me suis longtemps demandé si je trouverai un jour une quelconque place dans cette société qui ne veut pas de moi. C’est avec beaucoup de chance que j’ai réussi à échapper à l’esclavage et aujourd’hui, je permets à des hommes d’échapper à leur quotidien, plus rarement à des femmes, dans tous les cas, je joue de mes charmes et de mon corps pour alléger leur réalité. Au fond, ça ne me déplait pas, d’être une source de plaisir, de libération. C’est ainsi que va ma vie et puisque cette position me permet d’être en sécurité, je ne m’en plains pas.
+ Que penses-tu de la séparation entre les éléments ? Crois-tu que cela est normal, ou contre-nature ?
Je pense que c’est une bonne chose. C’est ainsi depuis tellement longtemps, qu’il y a fort à parier que si les choses venaient à changer, les gens ne réussiraient pas à s’entendre et à faire fi de leurs différences. Il n’y a qu’à voir à Dahud qui regroupe ainsi les différents peuples, la paix n’y est pas le mot d’ordre. Je crois que personne n’est prêt à changer l’ordre des choses. Et puis les uns avec leurs dons peuvent être dangereux envers les autres, c’est une chose connue de tous et que mes parents m’ont souvent répété et que j’ai fini par approuver entièrement. Cependant, je ne pense pas qu’il faille aller plus loin, à mon sens les choses sont plutôt correctes telles qu’elles sont.
+ Crois-tu en l'existence de l'élément Matière ?
Il circule dans mon milieu beaucoup de secrets, de chuchotements et je mentirai en disant que je n’en ai pas entendu parler. Si j’y crois ? Je ne sais pas et je ne me pose pas trop la question à vrai dire. Ce ne sont pas des choses qui m’intéressent, j’ai mieux à faire de mes journées.
+ Si tu devais me raconter un événement du passé...
J’avais laissé une bonne partie de mes affaires derrière moi, le cœur battant, les mains moites, je n’emportai que le strict minimum. Il allait falloir être discrète, rapide et dans la capacité de se fondre dans la foule, s’encombrer d’affaires était stupide. Bien sûr, j’avais longuement réfléchi à la question, pesé toutes les solutions, les pour et les contre de chacune, mais cette porte de sortie semblait être la plus prudente. Dans une semaine, si j’avais le malheur de me présenter aux tests, j’allais finir vendue en esclave. Une pression fulgurante dans ma poitrine, mon ventre, une douleur qui s’emparait de tout mon être me le criait, je n’avais pas de don et n’en aurait jamais et risquait donc de gros risques lorsqu’ils se rendraient compte que je ne développerai pas de tatouage. Pour l’instant, il m’était difficile de pardonner, de ne pas en vouloir au monde entier, le chemin serait long, mais finalement je réussirai à voir le bon côté des choses. Pour l’heure, là n’était pas la question. La nuit venait de tomber et bientôt mes parents rentreraient. La route n’allait pas être de tout repos et si je ne me perdais pas, je serai normalement arrivée d’ici une semaine, je devais partir maintenant. Peut-être aurai-je la chance de trouver un cheval à mi parcours, ce qui précipiterait alors mon arrivée dans la capitale. Du moins c’est ce que voulait bien croire mon innocence de l’époque. Mon sac de fortune à l’épaule, entamant mon expédition, déclarant ma fuite, je me posais toutes sortes de questions. Ma famille me manquerait-elle ? J’en doutais fort. Mes parents auraient de toutes façons fini par me jeter dehors. J’étais toute seule désormais, je ne pouvais plus compter que sur moi-même. Un frisson me traversa alors l’échine. Secousse d’excitation, d’angoisse, mêlé à un doux et enivrant sentiment de liberté. Je voulais croire que les choses iraient bien, que j’étais suffisamment maligne pour m’en sortir et que ce n’était pas cette absence de don qui ruinerait ma vie. Je n’avais rien laissé paraître, prévenu personne, je disparaissais sans mot dit, cela ne servant à rien puisque je ne les reverrai plus. A même pas quinze ans, je me retrouvais fugitive et orpheline. Sans la moindre idée de ce que j’allais bien pouvoir faire, une fois arrivée à Dahud. Rien ne m’avait préparé à ça. On ne m’avait pas dit si les exempts pouvaient travailler ou pas, seulement que la majeure partie finissait esclavagée. Et j’étais loin de vouloir finir de la sorte. Je me fis alors la promesse de rester maîtresse de mon destin.
+ Quel est l'impact des récents événements sur ta vie ?
Il m’a fallut un certain temps avant d’être touchée par l’ampleur des récents évènements. Ici, en ville, la vie a plus ou moins continuée son cours naturel. Certes, les clients n’étaient pas aussi nombreux, mais dans notre maison de joie, je n’ai pas vraiment vu la différence. Ce n’est que maintenant que les choses vont mieux que j’en ressens la menace. Avec mon rang d’exempt, je me dois d’être plus prudente que jamais si je ne désire pas finir en esclavage. Ce qui n’est pas forcément dans mon caractère et qui pourrait malheureusement me mettre dans de salles situations.
+ Une dernière chose...
Si vous ne savez que faire, venez donc prononcer mon nom à l'entrée d'Ismor, je trouverai de quoi vous occuper.