+ Quelle est ta région d'origine ? Y es-tu encore ?
Le désert est une constante. Des vastes étendus du Sud, Arkan en garde et perçoit surtout la beauté stérile. La région dont il est issu est finalement à son image : incandescente, difficile à appréhender et terriblement aride. Né dans la capitale du Sezni, à Inaki, Arkan en connait les recoins et les faiblesses. Survivre est sacerdoce dans cette région d’Oranda et il y est étrangement bien plus à l’aise que dans d’autres parties du monde à priori plus accueillantes.
La plupart de son temps, il le passe à rôder près du palais. Homme de main discret et efficace, Arkan répond sans ambages et de façon loyale à l’Empereur, Sven. Sa présence est néanmoins mise à mal par l’appel d’une autre loyauté, teinté d’une fraternité que le temps n’a jamais éprouvée, et qui l’emmène souvent à rejoindre à Lucrézia l’exempt Kaan Yasi.
+ Parle-moi de ta famille, et de ton lien avec elle.
Arkan n’en parle jamais et peu savent son nom de famille et l’opprobre qui y est lié. Les Dunwitch furent en leurs temps jadis, une famille émérite, riche, promise à un avenir brillant. Trop brillant peut-être, le père d’Arkan, avide et impatient voulu accélérer un mouvement qui aurait dû être naturel. Cherchant à plaire à la famille alors régnante dans le Sezni, il imposa une discipline cruelle et violente sur ses enfants. La mère ne fut pas en reste et les enfants durent parfaire dans le malheur ce que Malgara leur avait légué.
Les mauvais choix perdirent leurs familles : celui des parents qui virent le nom des Dunwitch crouler sous le désintérêt après le coup d’état de Sven Ramose, celui des enfants de vouloir complaire à des désirs impossibles et celui - si terrifiant- d’Arkan. Ce dernier ne se pardonnera jamais d’avoir tant hésité, de ne pas avoir protégé avant sa sœur, quand il y avait encore quelqu’un à protéger. Il ne regrette pas la mort des siens, en aucun cas. Ils ont eu ce qu’ils méritaient et il est lucide sur le fait que c’était eux ou lui de toute façon… mais sa sœur… sa sœur aurait pu avoir une vie s’il n’avait pas tant tergiversé à accomplir l’ingrate tâche.
Désormais orphelin, ne considérant plus que Kaan comme son frère, sa main ne tremble plus.
+ Quel élément t'a été attribué lors de la Cérémonie ? Que ressens-tu vis-à-vis de ton don ?
Au premier jour, il y eut le vertige. La souplesse du corps trouva ses limites devant le gouffre entre les toits et Arkan eut un sourire en déclarant fièrement forfait. Jamais il ne serait de l’Air.
Au second jour, il y eut le flottement. L’eau guérit, l’eau englobe, de tous les éléments c’est le plus entier. La sensation sur la peau était de fraicheur délicieuse et de légèretés humides. Rien qui ne fasse écho à sa personne.
Au troisième jour, la chasse fut ouverte. Le feu pulsait déjà au bout de ses doigts. Il l’avait toujours su du reste, aurait préféré mourir si ça n’avait pas été le cas, l’aurait probablement fait sous les coups d’un père irascible d’ailleurs. Arkan fut plus rapide que la moyenne, moins gauche dans l’utilisation si imparfaite encore de sa maîtrise.
Ce fut là comme une renaissance. A partir de la cérémonie, le temps fut consacré aux entraînements, à la perfection d’un art qu’il vénérait et dont l’endoctrinement taciturne des leçons ne faillirent jamais. Contrairement à la croyance populaire, Arkan était certes doué mais n’avait rien non plus d’un gigantesque prodige, ce fut le travail acharné – et forcé – qui lui permit de prendre une longueur d’avance et d’affiner un pouvoir qui lui était déjà naturel.
+ Si tu pouvais aller dans une autre région d'Oranda, où irais-tu et pourquoi ?
Sterenn et ses hautes cimes exercent une pulsion nauséeuse chez Arkan. L’idée même du vertige lui plait, l’idée du vide et des titanesques montagnes le ravit, la sensation de danger constant lui parle beaucoup plus que le confort maternel du Nord ou de l’Est.
S’il avait à choisir, c’est vers l’Ouest que se tournerait son regard. L’ossature de Sterenn est indésirable et revêche, les vents peuvent se montrer doux comme tempétueux, le chaos est régulier et il s’y reconnait plus facilement. De tous les éléments, et même s’il se refuserait à l’avouer, l’Air reste ce qu’il admet être le plus proche du Feu. Une question de physique voilà tout : ensemble ils sont plus forts, fatalement. Il y perdrait donc beaucoup moins en guidant ses pas vers un ouest sauvage.
+ Quel est l'élément dont tu te méfies au plus haut point ? Pourquoi ?
Les autres éléments sont inférieurs dans tous les cas de figure mais Arkan a un réel dédain, doublé d’une méfiance basée sur une lucide analyse, pour ceux qui possèdent l’élément de la Terre dans leurs veines. Non seulement Gorka est une démocratie -impossible système qui se fait le terreau d’une anarchie en devenir selon lui- mais les habitants de cette contrée sont entêtés de par nature, imperturbable, terriblement croyants et, de par ce fait, inconsciemment dangereux.
Les habitants de Gorka ont généralement des idéaux, ils ont la foi, l’envie de croire en l’humain, le désir de modifier les choses en mieux, un système de pensées qui n’a ni queue ni tête selon lui.
Gorka veut être heureuse et Arkan sait qu’il n’y a rien de pire. Celui qui a l’espoir est foncièrement dangereux et couplé aux pouvoirs tonitruants du contrôle de la terre, il sait combien le cocktail peut s’avérer mortel. S’il y a un ennemi à abattre c’est celui-là.
+ As-tu un secret ? Un secret dont personne ne devrait en entendre parler ?
Le sud sait qu’Arkan est parricide, qu’il a tué les siens. Le brun a plaidé coupable en avançant une sombre histoire de crime pour la patrie, que ses parents étaient en passe de trahir leur bien-aimé empereur autant de conneries que tout le monde fait semblant de croire mais qui ne mystifie personne.
La vérité est son secret : il l’a fait pour sauver sa sœur, pour se libérer des chaines familiales trop pesantes mais tout ceci fut un échec.
A quoi bon les secrets s’ils ne ménent à rien…
+ Quel est ton rôle au sein de ta région ?
Arkan aurait pu prétendre à une brillante carrière dans l’armée de l’empereur, dans l’administration, qui sait ? Les sombres événements familiaux le cantonnèrent à un autre rôle. Publiquement détesté pour son crime atroce, il tient pourtant en respect de par la peur qu’il engendre. Sans espoir, Arkan a mis son bras au service de Sven de façon secrète. Il nettoie les corps, tisse les fils d’araignée au sein d’un royaume fragile, se fait exécutant sombre pour un pouvoir qui lui convient. Ça ne lui déplaît pas, pas plus que ça ne lui plait, il se considère comme une machine depuis trop longtemps maintenant.
+ Si tu devais assister à une mise à mort injuste qui mettrait en danger un innocent, que ferais-tu ?
C’est une prérogative du pouvoir que de juger ce qui est juste ou ne l’est pas. La Mort n’en a que faire, elle prend sans chercher à creuser plus loin. Parfois ceux qui devraient mourir ne le font pas, puis ceux qui devraient survivre trépassent. Les exécutions n’ont pas à être discuté, tout le monde finit par mourir. Un peu plus tôt, quelle importance ?
Arkan donne trop souvent la mort lui-même pour être touché par un événement de ce genre. Néanmoins, la vengeance est un plat qui se mange froid et il oublie rarement les visages.
+ Que penses-tu de la séparation entre les éléments ? Crois-tu que cela est normal, ou contre-nature ?
Arkan n’a pas spécialement d’avis sur la question. Que ce soit encadré dans les limites de frontières imaginaires ou dans la région centrale du Dahut, la suprématie du Feu est selon lui incontestable. Peu importe que les autres éléments les côtoient au final, ce n’est pas de leurs ressorts. L’Ordre néanmoins est une valeur essentiel des enfants de Sezni et elle lui est naturellement chère aussi apprécie-t-il en soi la délimitation physique de ceux possédants des dons liés aux éléments.
Il y a ceux qui influent lentement, l’anarchisme évident de Kaan qui prône une tabula rasa peut s’avérer séduisant. Omnia mutantur, nihil interit. Tout change, rien ne meurt.
+ Crois-tu en l'existence de l'élément Matière ?
Arkan y croit à demi seulement, mais ne l'a de toute façon jamais véritablement vu à l'oeuvre. Il trouve l'idée presque logique, une simple évolution -ou un désir d'évolution- que les gens auraient montés en légende. La chose ne l’émeut pas même si elle reste fascinante.
+ Si tu devais défendre quelque chose, une idée, un concept, une valeur ? Et si tu devais t'opposer à quelque chose ?
De grands mots, de grands discours. Arkan ne désire plus ni les écouter ces paroles faites de vent, ni les défendre. Il a eu sa chance auparavant, celle de protéger sa sœur, il l’a loupé à son grand désespoir et ne désire plus défendre qui que ce soit dorénavant.
Arkan se contente de mettre sa grande carcasse sombre au service de l’empereur de la nation du feu, c’est bien assez en ce qui le concerne. Il entend les paroles remplies d’espoir de son frère Kaan mais le surveille seulement avec méfiance, il perçoit les grondements de ceux laissée pour compte dans le Dahut mais hausse les épaules à leurs cris de détresse. Tout ça, ce n’est pas son problème. Où étaient-ils tous lorsqu’il a fallu encaisser le fouet et les privations ? lorsque sa sœur cachait ses bleus et sa lèvre fendue ? Honneur, travail, famille, patrie, bonté, des foutus mots sans sens pour personne.
Ce monde ci peut bien crever. Arkan s’en contrefout.
Il est déjà mort.
+ Si tu devais me raconter un événement du passé...
Il y a une telle fragilité dans la condition humaine, elle est si éphémère, si terriblement vulnérable – de quoi le rendre malade.
Tant de façon de faire cesser la vie, d’en éteindre la lumière, d’en flinguer le souffle. Tant de façon d’assassiner.
Un crâne explosé et le cerveau en cascade rose. Une lame aiguisée et un organe vital qui s’emballe. La douceur d’une nuque et le crack qui va avec. Le feu et ce qu’il consume. Pas de pitié, pas d’hésitations. Artères, veines, pouls tout ce qui s’arrentent et tremblent et lâchent. Les accidents arrivent, n’est-ce pas ? Il y a toujours une bonne raison qui traîne quelque part, tout le monde a toujours son idée, son hypothèse, sa théorie.
Ils en avaient tant quand l’annonce du meurtre des Dunwitch a circulé dans la ville.
Il a tué son père, sa mère, sa sœur. Arkan pourrait presque en rire.
Que le monde oublie – parfois Arkan essaye de le faire. Toute ces vies qui glissent entre ses doigts. Il les a toute éteintes et ne le nie pas, celles que Sven lui a demandé, celle qu’il aurait du massacrer avant l’irréparable.
(Il aimerait oublier mais il ne le peut pas)
***
Kaan est la meilleure partie de lui-même, il le sait maintenant. Tant que Kaan survit, peut-être qu’il pourra un jour être sauvé.
(Nous savons tous que c’est impossible)
***
Ecoutez nos défaites...
Il a imaginé tant de fois ce qui aurait pu changer si seulement...
« S’il te plait, » avait-il plaidé.
« S’il te plait, » avait-il imploré.
(Son père n’a arrêté que lorsque sa sœur n’était qu’un gémissement moribond, amas de chair et de sang. Il se souvient de l’odeur rien d’autre.)
(c’est faux, il se souvient de tout)
***
Kaan y croit.
Il a beau avoir essuyé l’opprobre lui aussi, à sa manière, avoir vécu l’exil et la honte, Kaan y croit toujours aux mots qu’il prononce. La liberté. La justice. Un monde meilleur.
Le vent qui souffle autour de son visage en cœur. « Une tempête approche, » lui dit son meilleur ami, les boucles à la joliesse inattaquable voletant au gré d'un espoir écarlate. Arkan croise ses bras et il ne baisse pas les yeux.
« Une tempête approche toujours, Kaan. » Il le pense mais ne le dit pas.
***
Un jour, on lui pose une question : Tu n’en as pas assez de tenir compagnie aux morts ?
***
La vérité est la suivante : il a supplié avant d’entrer dans une rage folle, il a pleuré à genoux, regardé la pulpe blanche de sa sœur virer au rouge grenat puis au noir mortel. Le monde s’est arrêté la nuit où sa sœur s’est éteinte dans ses bras. Il aurait dû les tuer avant ces parents que Sezni a cru bon pleurer ensuite.
D’honnêtes citoyens. Il aurait pu rire afin de ne pas pleurer.
Sven lui a donné un habit noir, un habit de deuil, puis l’a mis à son service. Ni plus, ni moins.
***
Chaque jour on meurt aux yeux d'autrui. Ce que nous connaissons des autres n'est que le souvenir des instants pendant lesquels nous les avons connus. - TS.Eliot
+ Quel est l'impact des récents événements sur ta vie ?
Arkan est plus prudent, les sens affutés et en alerte. L’obscurité a été une aubaine pour le peuple du Feu tout du moins le croit-il : ils sont ceux qui voient dans le noir, la lueur des flammes en phare secret.
C’est plutôt le clan de l’Air qui l’inquiète en soi. Il n’est pas là pour la politique mais il n’est pas stupide et l’analyse des événements tend à le rendre circonspect envers la nation de l’ouest. Le nord et l’eau sont les ennemis héréditaires, certes, mais le véritable danger réside sur les côtés selon Arkan.
+ Une dernière chose...
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