Je viens de Sterenn, à l’ouest d’Oranda. J’ai grandi parmi les géantes endormies communément appelées les immenses montagnes. Elles sont si grandes que le ciel semble si proche à leur sommet. J’ai couru à travers les forêts, propulsée par le vent qui fait la réputation de mon peuple. Le peuple de l’Air. Et surtout, j’ai eu la chance d’admirer, chaque jour de mon enfance, ces magnifiques volatiles au-dessus de ma tête, comme des centaines d’étoiles en plein jour. Je garde de ma terre natale un souvenir intarissable, il va sans dire. Aujourd’hui encore, j’ai un pincement au cœur en repensant à cet endroit mais les raisons de mon départ tempèrent ce sentiment. Je ne regrette pas d’être partie avec mon frère connaissant parfaitement les risques encourus pour être une Exempte au milieu d’une population... comment dire... privilégiée.


Ma famille se résume à deux personnes au monde, Lachlan et Aishwarya. Ils constituent mon univers comme le soleil et la lune se partagent le ciel. Je ne suis plus en contact avec mes parents depuis de nombreuses années. Tout simplement parce que j’ai quitté mon foyer à 14 ans, abandonnant mon passé par la même occasion. J’étais une étrangère au milieu de mes frères et sœurs, tous capables de prodigieuses capacités quand je me savais dénuée de la moindre d’entre elles.


J’irai dans la région de Gorka, à l’ouest d’Oranda pour visiter une terre dont je ne connais que les histoires racontées. J’ai entendu parler d’une nature à couper le souffle et encore, j’ai l’impression que les mots sont insuffisants pour décrire la beauté de cet environnement qui me fait presque rêver. Cependant, je ne pense pas quitter ma région adoptive de sitôt, principalement parce que j’y suis beaucoup attachée, mon foyer se trouve désormais là-bas. De plus je n’ai rien vu de plus beau au monde que les flocons de neige qui recouvrent les montagnes aux alentours. Celles que j'aime appeler les géantes de glace.


Le feu, sans la moindre hésitation. Cela peut sembler étrange, n'ayant pas vraiment côtoyé cet élément de moi-même. Pourtant, je connais non seulement le danger qu'il représente mais également l'usage abusif que certaines personnes peuvent en faire. Cette démonstration de pouvoir me dégoûte au plus haut point. Quand je pense au traitement que les parents d'Aish lui ont infligé, je ne supporte pas cette idée. Je ne rêve que de justice et de vengeance pour lui. Je ne suis clairement pas objective mais comment l'être face à des châtiments aussi inhumains ? Si mon frère se méfie de notre propre peuple, je considère que la vraie menace est celle que nous ne connaissons pas. L'inconnue à nos yeux. Nul doute que la société Feu nous ferait griller sur la place public comme des morceaux de viande, brûlés vifs pour nos crimes, plutôt que de perdre son temps à nous vendre ou nous réduire à l'esclavage.


Je vous vois déjà venir avec ma nature d'Exempte mais je ne suis pas la seule à connaître cette information. A contrario, personne n’est pas au courant de ce que j’vais vous raconter, surtout pas Lachlan. J’ignore quand j’aurai la force de lui révéler ce terrible secret. Ce poids qui plane sur nos vies depuis si longtemps. Si seulement je ne savais rien, cela serait tellement plus simple pour nous deux.

Quelques jours avant de quitter ma région et de m’enfuir vers une autre contrée, ma mère est venue me voir à la nuit tombée pour parler. Sauf que la conversation ne s’est pas vraiment déroulée… comme prévue. Ce soir-là, j’ai appris la vérité sur mes origines : aucun sang Thralmur ne coule pas dans mes veines, loin de là. Je suis un enfant volé, un espoir bafoué, une blessure éternelle. Mes parents ont vu en moi un moyen de combler la perte de leur nourrisson mort à la naissance. Sans prendre en considération, la souffrance de mes véritables géniteurs. Suite à cette révélation, je me suis empressée de partir à leurs recherches pour découvrir leur disparition prématuré.

Tous les jours, je me réveille en prétendant que cette histoire n'est pas la mienne mais un simple mensonge inventé par une mère désespérée pour convaincre sa fille de rester. Sauf que je sais ce qu'il en est réellement et cela me terrifie... car j'ai peur de perdre mon frère. J'ai peur depuis vingt-ans maintenant, que notre lien si fort ne survive pas à mon silence.


Je m'occupe principalement de l'auberge mais il m'arrive également d'aider Aish à la taverne. J'ai trouvé ma place au fil des années, bien que je continue de rester discrète afin de passer inaperçue aux yeux des habitants de la région, il en dépend de ma survie.


Bien que cela semble cruel, je ne ferai rien. Sur le principe, c’est particulièrement égoïste mais je ne peux pas prendre le moindre risque dans ma situation.  M’exposer revient à mettre en danger les deux hommes auxquels je tiens le plus au monde. Par contre, s’ils étaient les innocents en question, je ne permettrai pas leur mise à mort, peu importe le prix à payer. Leur vie est bien trop chère à mes yeux pour que je puisse envisager ne serait-ce qu’une seule seconde, de la perdre.


Je pense que la mixité du peuple Orandienne sur tous les territoires serait une avancée notable au sein de notre société. Un premier pas pour en reconsidérer les fondements, les règles, les déficiences. Ne jamais remettre en doute ce qui est, revient à perdurer le passé et à bafouer le futur. Je sais que les mentalités ne sont pas prêtes de bouger d'ici demain mais il faut bien commencer quelque part. Pourquoi ne pas autoriser la circulation libre d'une région à l'autre ? Je dois probablement être la seule personne sur cette Terre à me poser cette question, raison pour laquelle je discute rarement de ce sujet avec mes pairs, néanmoins cela prouve bien une chose : ce n'est pas impensable. Les humains ont du mal à le concevoir mais je suis certaine que les Dieux ont déjà envisagé cette possibilité.


Ma tête me dit que c'est une légende mais mon coeur a envie d'y croire.


Les injustices sont tellement nombreuses qu'il est difficile de n'en choisir qu'une. Est-il normal d'effleurer la mort parce que nous souhaitons quitter notre région ? Non, définitivement non. Pourtant, je ne peux rien dire, rien défendre sans risquer ma propre peau. Ma voix n'a aucune valeur. Alors je me contente de faire tout mon possible pour prendre soin des deux hommes de ma vie. Et de prier afin que des gens, plus courageux, plus insouciants, plus puissants que moi, ne se battent pour les Exempts, pour l'égalité des sexes, pour l'abolition des frontières, pour le droit d'exister peu importe sa nature, son sang, sa position, son orientation et j'en passe. Le droit d'être qui nous sommes, tout simplement. Pourquoi serions-nous jugés sur des critères aussi futiles ? Pourquoi la pureté du coeur ne primerait-elle pas ? Parce que cela dérangerait l'ordre établi depuis des générations. Il est bien connu que le changement fait peur, même aux plus vaillants d'entre nous.

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J'ai toujours été admirative de la neige, j'imagine que c'est normal étant une étrangère. Jamais je n'aurais espéré la voir disparaître. Pour cause, les récents événements... ces nuits sans fin, ce froid impitoyable, cette brise glaciale. La famine nous guette petit à petit, combien de temps tiendrons-nous dans ces conditions ? Aussi longtemps qu'il le faudra afin de surmonter le test des ténèbres, Malaggar nous met à l'épreuve. Notre foi sera notre salut.


Puissent les dieux nous montrer le chemin à prendre à défaut de nous montrer leur clémence.