+ Quelle est ta région d'origine ? Y es-tu encore ?
Je suis un enfant de Gorka depuis ma naissance, et je compte bien le rester jusqu’à ma mort. J’appartiens à cette région, je la comprends autant qu’elle me comprend. L’harmonie avec la nature représente beaucoup à mes yeux, comme à tous ceux de mon peuple. C’est pour cette raison que je me dévoue à eux, corps et âme. Et quand je parle d’eux, c’est aussi bien les Gorkiens, que la nature majestueuse qui nous bénit, mais également les animaux qui nous honorent de leur présence. Je suis prêt à donner ma vie pour eux et j’empêcherai quiconque aura pour idée de venir briser l’harmonie de Gorka.
+ Parle-moi de ta famille, et de ton lien avec elle.
C’est un peu compliqué selon qui je dois évoquer. Prenons mes parents. Je suis proche de ma mère. Je l’aime, je cherche à la protéger, à tel point que je n’ai jamais réussi à me résoudre à lui dire que mon père la trompait. Quant à mon père, ancien président de Gorka, respecté de tous. Je lui en veux sur ce point, vous n’avez même pas idée. L’engagement est important à mes yeux. Quand on est avec une personne, on ne va pas voir ailleurs. On rompt avant de le faire. Comme je l’ai fait à l’époque pour être avec Saskia. Elle est ma compagne depuis dix-huit ans. Elle avait 16 ans quand je l’ai connue, et moi 21. J’étais avec Ysire, je l’aimais. Pourtant quelque chose m’a attiré chez Saskia. Sa fragilité, sa douceur, sa timidité. Il y a également son mutisme qu’elle ne veut pas soigner. Ce n’est pas évident tous les jours de partager la vie d’une femme muette. Je m’y suis fait, mais j’avoue que par moments, cela me pèse.
+ Si tu pouvais aller dans une autre région d'Oranda, où irais-tu et pourquoi ?
Si on me laisse le choix, je n’irai nulle part et resterai à Gorka. Pourquoi aller ailleurs quand on est si bien chez soi ? Maintenant, si vous me dites que je n’ai pas d’autre choix que de partir, j’hésiterai entre deux régions : Vainui au Nord, et Sterenn à l’Ouest. Mes idéaux sont incompatibles avec Sezni, cette région est éliminée en premier. Et Dahud ne m’attire pas des masses. Ce qui me dérange vraiment dans la région de Vainui, c’est le côté monarchique. Je préfère un gouvernement démocratique comme le nôtre. Il suffit qu’un de leurs descendants soit un despote et la région deviendra comme celle de Sezni. C’est un risque que je n’aimerai pas voir se réaliser un jour. Du côté de Sterenn, il n’y a rien à dire sur leur côté républicain. Leurs dirigeants sont élus par le peuple, c’est légèrement différent de Gorka mais l’esprit politique est le même. Ce qui me dérange chez le peuple de l’Air, c’est dans leur mode de vie. Ils mangent de la viande, du poisson… Alors que ce sont des êtres vivants sacrés à mes yeux. Je ne crois pas pouvoir supporter de voir qu’on leur inflige ce traitement. Donc, puis-je rester à Gorka ?
+ Quel est l'élément que tu haïs au plus haut point ? Pourquoi ?
Indéniablement le feu. Certes, l’eau peut l’éteindre. Mais cet élément est capable de faire des ravages monstrueux. Il en a déjà trop fait sur nos terres, à tel point que je ne peux me résoudre à leur laisser le bénéfice du doute quant à leurs intentions. Je ne fais aucune confiance au peuple de cet élément et depuis le coup d’état de Sven, ma méfiance vis-à-vis d’eux a empiré. Je n’aime pas les ravages du feu, j’aime encore moins la mentalité de Ramose. Il se croit tellement supérieur alors qu’il n’est qu’un simple homme, tout comme nous. Il pense que la démocratie et la république mènent à la perte. Que l’eau ne suffira pas à éteindre les brasiers qu’il allumera sur son passage. Il oublie une chose. L’eau n’est pas seule maitre pour éteindre le feu. La terre peut également le faire, en l’étouffant et en le privant d’air. Tant que le peuple du feu restera loin de Gorka, tout ira bien. S’ils veulent un jour détruire notre harmonie, la terre se soulèvera d’elle-même pour répondre à cette attaque. Et je serai au premier rang pour affronter la nation du feu si ce jour vient à venir.
+ As-tu un secret ? Un secret dont personne ne devrait en entendre parler ?
Un doute, intérieur et profond. Inexistant durant quatorze années, il a germé quatre ans en arrière. L’année de mon arrivée à la présidence. Jusqu’à cette année-là, je peux affirmer sans hésitation que je n’en ai pas eu. Ysire a refait surface dans ma vie à temps plein, en obtenant le second poste de président. Nous nous côtoyons régulièrement depuis. Plus le temps s’écoule, et plus ce doute grandit. Je suis heureux avec Saskia mais quelque chose me trouble. Ou plutôt quelqu’un. Bien évidemment, je ne laisse rien transparaître, hors de question que je brise le bonheur de mon couple en révélant ces doutes. Il n’est seulement pas évident pour moi de travailler avec ma première petite amie. C’est épuisant, autant que de tenir la présidence de Gorka. Et il n’est pas rare que je me mette à l’écart, partant à la recherche d’une sérénité qui s’envole en même temps que ma santé mentale. Nous n’en sommes qu’à quatre ans de mandat, il nous en reste encore seize à accomplir. Dois-je renoncer à la présidence pour préserver ma vie privée ? Ou suis-je capable de tenir et de faire face à ce qui adviendra dans le futur ? Ô Tarlyn, viens aider ton enfant avant qu’il ne se perde et que ses doutes ne viennent se répercuter sur le peuple qu’il est censé protéger.
+ Quel est ton rôle au sein de ta région ?
Président de Gorka comme le fut mon père avant moi. Je veille sur mon peuple avec Ysire. Si elle détient le pouvoir judiciaire, je possède l’exécutif. Même s’il arrive que nous ne soyons pas d’accord sur des sujets, nous mettons nos différents de côté pour le bien être de notre peuple. L’Assemblée nous aide également. Plus de deux cent personnes à écouter, je peux vous garantir que ce n’est pas de tout repos. Car cela peut être plus de deux cent avis différents sur divers sujets. Notre démocratie fonctionne pourtant bien ainsi depuis longtemps. Je mets toute mon énergie dans mon rôle, trop sans doute parfois. Il arrive que je me sente complètement vide, comme si mon optimisme et ma joie de vivre m’ont été retirés. Je suis alors pris d’une certaine mélancolie et je me pose beaucoup de questions. Est-ce que je suis un bon président ? Est-ce que je fais le nécessaire pour les Gorkiens ? Vais-je tenir sur la durée ? Il y a autant de questions qui peuvent laisser supposer que je suis une fissure, une brèche instable qui pourrait mener notre nation à sa perte. C’est pourtant les remises en question qui me renforcent et me permettent d’avancer. De tenir chaque jour ce rôle de président et d’agir en conséquence.
+ Si tu devais assister à une mise à mort injuste qui mettrait en danger un innocent, que ferais-tu ?
J’interviendrai, sans hésitation. Non en tant que président, mais en tant que simple homme qui croit en la justice. Sans preuves tangibles, un innocent ne doit pas être mis à mort. Et même s’il existe des preuves qui retirent son innocence pour le rendre vraiment coupable, il existe d’autres alternatives. La prison, l’exil, l’esclavage même si je ne suis pas très friand de ce dernier recours. La vie est précieuse, je ne comprends pas que certains puissent prendre plaisir à la retirer.
+ Que penses-tu de la séparation entre les éléments ? Crois-tu que cela est normal, ou contre-nature ?
Pour vivre bien, vivons séparés. Cette séparation est normale pour ma part. Et c’est cette volonté de vouloir réunifier tout le monde que je trouve contre nature. Nos aspirations sont différentes, nos modes de vie également. Nous ne vénérons pas les mêmes dieux. Nous n’avons pas la même approche vis-à-vis de la faune et de la flore qui nous entourent. Comment pourrait-on vivre ensemble avec toutes ces différences ? Attention, je ne me présente pas comme un raciste des autres nations. Je respecte leur mode de vie tant que cela reste sur leur territoire. Je crains juste qu’à vouloir nous regrouper, nous allons créer de nouvelles tensions, de nouveaux éléments de divergence. Les différences amènent de la diversité ce qui est bien pour notre monde, mais cela apporte également de la violence et une volonté naturelle chez l’homme de vouloir dominer l’autre. Et là, je vise en particulier les habitants du Sud.
+ Crois-tu en l'existence de l'élément Matière ?
Non. Il y a bien des rumeurs qui circulent mais comment dire. J’ai un esprit qui est tout de même très terre à terre. Je ne crois que ce que je vois. Et pour le moment, je n’ai rien vu qui me mènerait à croire que l’élément Matière existe. Pourtant Ysire croit en l’existence de celle-ci. C’est même un sujet de discussion récurrent et qui amène des tensions entre nous. Si un jour, elle arrive – ou quelqu’un d’autre – à me monter que la Matière existe, je réviserai mon jugement sur le sujet. En attendant, ce n’est pas ma préoccupation principale. La mienne se nomme l’élément Terre et des discussions vaines me font perdre un temps précieux.
+ Si tu devais défendre quelque chose, une idée, un concept, une valeur ? Et si tu devais t'opposer à quelque chose ?
La séparation des différentes régions. Je viens de passer quatre ans à le faire et je m’occuperai également de défendre cette politique pour les prochaines années. C’était également la politique de mon père et même si nous avons des désaccords sur divers sujets, celui-ci n’en fait pas parti. Ma priorité est Gorka et le restera. Cela ne veut pas dire pour autant que je vais mettre des œillères pour ne pas voir ce qui se passe autour de nous. Je suis également pour la défense des innocents. Je protège ma nation, mais si mon voisin du Nord réclame un jour notre aide pour résister à la tyrannie du Sud, nous répondrons présent. Non pour tenir tête à Sven, mais pour protéger tous ceux qu’il sera susceptible d’atteindre de sa démence. Il m’est difficile de citer toutes les valeurs que je défends. Je peux en citer quelques-unes : l’union, l’harmonie, la paix, la nature, l’égalité, … Tout ce qui se rapproche de la vie, et non de la survie.
+ Si tu devais me raconter un événement du passé...
« C’est terminé entre nous Ysire ». Nous sommes en 818. J’ai 21 ans, elle a 18 ans. Nous venons de passer une année à nous aimer passionnément. Jusqu’à ces derniers mois, notre couple s’est révélé fusionnel. Dans notre cercle d’amis, il était rare que l’un ne soit présent sans que l’autre ne soit également dans les parages. Qu’est-ce qui a changé et a détruit cet amour ? Des tensions dues à notre jeunesse. Des incompréhensions pour lesquelles on n’a pas pris la peine de s’arrêter dessus pour s’expliquer et les éradiquer. La décision n’a pas été facile à prendre et pourtant je l’ai fait. A son détriment.
J’ai rencontré quelqu’un d’autre, et à ses côtés, j’ai l’impression de retrouver la quiétude que je perds quand les mots dépassent nos pensées à Ysire et moi-même. J’ai choisi la solution de facilité, même si elle se révèle au final plus difficile que de mener une double vie. Je refuse de suivre l’exemple de mon père. Une femme attitrée et une maitresse qui attend docilement dans son coin. Je le déteste pour ce qu’il a fait à ma mère. Je ne ferai pas subir cela à Ysire. Je l’aime. Mais cette attraction vers Saskia, je ne peux y résister. Est-ce que c’est dans mes gênes de me comporter ainsi ? Est-ce que je ressemble autant à mon père ? Je m’interroge. Je ne sais pas si cette décision est la bonne. Ysire disparait de ma vie, je commence à en construire une nouvelle avec Saskia. Sa douceur, sa timidité, bon sang que cela me fait du bien par rapport aux tensions d’avant.
Et puis un jour, je la recroise. Ysire. Un enfant dans les bras. Et là je comprends que notre livre est définitivement terminé. Le mot fin s’inscrit en bas de la dernière page. J’ai été rapide pour me recaser, elle n’est pas en reste vu ce petit être qu’elle tient contre elle. Qui est le père ? Je ne souhaite pas le savoir. Je ne suis pas en droit de ressentir ce sentiment et pourtant c’est bien de la jalousie que je ressens tout au fond de mon être. Ce même soir, comme pour chasser complètement Ysire de mon esprit, je rentre. Et je fais l’amour à Saskia. Un amour différent de ce que j’ai pu lui apporter jusque présent. Passion, tourmente. Je m’offre complètement à elle, ce que je n’avais pas fait jusqu’à alors. Mon passé reste derrière moi, et cette nuit-là, alors que je m’abandonne totalement, je suis bien loin d’imaginer que ce fameux passé surgira de nouveau pour me rattraper une dizaine d’années plus tard.
+ Une dernière chose...
La princesse du Nord… Elle souhaite violer le président de l’Est.