+ Quelle est ta région d'origine ? Y es-tu encore ?
Einar est né à Ibaï, et y a passé la majeure partie de sa vie avant d'être envoyé en campagnes puis dans Lucrezia.
Il garde le souvenir d'une sécurité totale quand il était enfant et grandissait à Vainui. On le connaissait, il était enveloppé de soins. Etre enfant unique l'a-t-il incité à s'enrôler dans l'armée pour découvrir ces liens de fraternité, ou n'est-ce que la très forte influence familiale ?
Patriote, il n'a jamais regretté de s'être formé dès que possible pour s'engager. Ibaï ne cesse de l'émerveiller. Il aime tout dans ses paysages. Lucrezia et ses environs sont une bonne surprise, mais n'exercent pas le même attrait sur lui. L'air glacial, les sons assourdis par la neige et le froid, le bonheur d'apercevoir la silhouette d'un animal polaire détalant au loin ... il s'y sent chez lui.
Bien qu'il retourne rarement à Vainui, il habite la demeure familiale. Préférant laisser sa chambre d'enfant en l'état, il a amménagé une autre pièce qui lui sert d'appartements. Peu d'objets de l'appartement qu'il occupait avec son épouse. La demeure dans la capitale est entretenue par les domestiques que sa mère emploi et qui lui tiennent compagnie - puisque son fils unique se garde de le faire.
L'appartement qu'il occupe à Lucrezia dispose d'un confort spartiate, comme s'il n'était que de passage.
+ Parle-moi de ta famille, et de ton lien avec elle.
De son père, Caïn, le Conseiller garde de nombreux souvenirs. Emerveillé par cette image de force et d'humanité, il s'est très tôt placé dans son sillage. Tout ce qui pouvait lui permettre d'être proche de lui et de marcher sur ses traces était bon à prendre. Einar s'est très tôt senti valorisé par son paternel, qui le poussait à s'intéresser à ce qui lui permettrait de vivre sans compter sur les autres mais avec les autres. Respect du groupe, indépendance dans celui-ci. Les stratégies déployées au cours des dernières batailles lui apparaissaient comme autant d'histoires formidables, il s'est pris de passion pour le sujet et s'est conformé à ce qu'on attendait de lui. Il a hérité de lui sa déférence pour les autorités et son souverain qui est aujourd'hui son ultime figure paternelle.
Rokhya, sa mère. Einar et elle ne sont pas proches. Toujours fourré auprès de son père, il comptait peu sur les conseils et l'affection de sa mère. Avec du recul, il lui apparaît que malgré l'affection familiale, le lien n'a jamais pris. Ils ont gardé peu de contacts. Quelques lettres chaque année. Un bouquet de fleurs livré par l'entremise d'un ami de la famille pour l'anniversaire de sa mère.
Quand à sa défunte femme ... Il n'a rien oublié du doux visage d'Isabella, de la douleur de se savoir privé d'une confidente et d'une amie qui ne le trahirait pas. La partie de lui qui avait instantanément compris et cette certitude monstrueuse qui infestait ses sentiments. Là encore, ses contacts avec son ancienne belle-famille sont sporadiques. Trop douloureux.
Désormais, et comme avant auparavant, il se concentre sur ses anciens frères d'armes et les nouvelles recrues. Sans ses deux assistants, il se sent perdu. La présence de ces jeunes gens le rassure.
+ Si tu pouvais aller dans une autre région d'Oranda, où irais-tu et pourquoi ?
Ce qui l'attire d'autant plus qu'il vit en ville, ce sont les grandes étendues d'espace, l'immensité d'un paysage le bouleverse et le ravit. Les montagnes escarpées de Sterenn ? Il a peur de s'y sentir enfermé. Bien sûr, le souffle de l'air glacé sur son visage est une sensation qui le stimule, et il ne doute pas que de telles montagnes sont un endroit rêvé pour faire voeu de silence, découvrir de nouveaux paysages, profiter de la beaué du vol des oiseaux et marcher, marcher jusqu'à s'oublier. C'est oublier que sans voler, on peut passer bien trop de temps à les monter et descendre, des montagnes.
Il doit avouer que l'aura de danger, d'épreuve de force du désert de Sezni l'attire. Le paysage au sol rougeoyant et au ciel d'un bleu pur, dont les contours se décomposent jour après jour ... S'il en a l'occasion un jour, il sera heureux d'y aller. Le plus tôt serait le mieux. Même s'il a pris l'habitude de boire plusieurs heures par jour et se souviendra de cette habitude avant d'être transformé en fruit déshydraté, il sait que chaque année qui passe est une chance de moins de réussir à traverser ce foutu désert.
+ Quel est l'élément que tu haïs au plus haut point ? Pourquoi ?
Comme beaucoup de maîtres de l'eau, il craint le feu. Les blessures infligées par l'eau peuvent en partie être soignées, des brûlures graves laisseront une empreinte sur la chair flétrie. Les blessures qui lui ont ainsi été infligées l'ont profondément marqué.
A son étonnement, c'est le cauchemar d'être enterré vivant qui l'angoisse le plus. Le feu est mobile, vivant. On peut ruser contre lui. Mais la force brute de l'élément terre ne donne aucune alternative. Triompher ou être vaincu. Aucune mobilité, aucune action possible. Et s'il manquait un jour de force ? Jusqu'ici, il a pu se révéler aussi mouvant que l'eau et s'en sortir, quitte à endurer une blessure de son ego. Sans prétendre être d'une intelligence rare, Einar est un stratège, capable d'échafauder rapidement un plan et de sauver sa peau. Ca ne marche pas devant la force brute.
Sur le plan des idées, toutefois, il doit aussi avouer qu'il est envieux. Cette communion avec la nature lui parle, le laisse songeur. Il se reconnaît dans les valeurs de respect des maîtres de la terre et aimerait mieux les connaître. Ils l'attirent tout autant qu'ils le répulsent.
+ As-tu un secret ? Un secret dont personne ne devrait en entendre parler ?
Ce n'est un secret pour personne, il rêve de fonder une famille. Prendre une retraite méritée ou lever du pied sur les services rendues à sa nation. Transmettre des valeurs à ses enfants, prendre à deux les décisions les plus infimes et celles qui orientent une vie, s'occuper des autres ... Malgré des années de vie conjugale, il n'a pas eu de descendance et s'efforce d'oublier ses inquiétudes sur ce sujet.
Ce dont il parle peu et surtout pas dans son milieu, c'est ce sentiment d'inculture crasse. Si Einar a des compétences indéniables pour survivre en milieu hostile, il serait bien incapable d'assister sereinement à une exposition de peinture ou lire un livre. Il n'a jamais pris le temps de cela. Une description trop littéraire et pas assez factuelle lui est incompréhensible, la beauté d'un tableau ou d'un chant lui est inconnue et il attend que d'autres en fassent l'éloge. Ses assistants lui machent le travail en présentant synthétiquement ce qu'il a besoin de savoir s'il se rend à un événement mondain. Il relit patiemment les comptes-rendus qu'ils lui font et peut donner le change lorsque la conversation devient trop culturelle et pas assez politique. Et pour le reste, les imprévus ? Il improvise.
+ Quel est ton rôle au sein de ta région ?
C'est une lourde responsabilité d'être conseiller de son souverain, mais Einar voit cette tâche comme le plus grand honneur qu'il lui sera donné d'accomplir. Non seulement il admire profondément son roi, mais être reconnu pour sa perspicacité et savoir qu'il contribue à protéger les autres le remplit de fierté.
Alors si pour cela, il faut aider l'héritière dont il n'est pas certain de la légitimité ...
Arrivé en ville depuis un an pour diverses missions, il est devenu conseiller depuis deux lunes. Une question angoissante s'il en est. Spécialiste des questions militaires, il a un droit de regard sur ce qui concerne les conflits et la stratégie à déployer, parfois des questions de sécurité intérieure. Un joli mot pour désigner entre autres l'attaque récente par des maîtres de l'eau.
Les autres soldats ont connu un homme différent du conseiller actuel. Einar prend son nouveau rôle à coeur, se montrant plus superficiel qu'il n'a pu l'être dans les ambiances de camaraderie qu'il connaissait jusque-là. Il craint d'être pris de haut par ses semblables et ne se sent pas à son aise dans les jeux politiques, mais il est hors de question qu'il se désintéresse des questions de société par simple peur.
+ Si tu devais assister à une mise à mort injuste qui mettrait en danger un innocent, que ferais-tu ?
Einar se fait une haute idée de la justice. Elle repose sur un ensemble d'idées dont il ne démord pas. Mieux vaut un coupable en liberté qu'un inconnu enfermé à tort. La peine de mort n'est pas dissuasive. Tout délit demande réparation mais la réparation doit être proportionnée. La Justice n'est que si chacun peut être défendu, quelque soit la brutalité de ses actes.
Il s'est déjà opposé à des jugements de cour martiale hâtifs, à tort ou à raison. Il aime à croire qu'il en serait autant en place publique.
+ Que penses-tu de la séparation entre les éléments ? Crois-tu que cela est normal, ou contre-nature ?
Le plus important, c'est de protéger les populations civiles. Einar ne fait aucune confiance aux adultes de sa génération et plus anciens que lui pour cohabiter en harmonie. Il règne à Lucrezia une tension qui ne lui a pas échappé.
Pour autant, il essaie de faire confiance aux plus jeunes. Peut-être les idéalise-t-il mais il n'est pas insensible à l'émerveillement que manifestent les enfants et les adolescents au moment de la découverte de leurs pouvoirs. Il ne semble pas impossible d'éduquer dans une autre idée les plus jeunes, de leur donner une envie d'harmonie et d'entente, voire un projet communautaire.
Bien sûr, il s'agit là d'idéalisme.
Le plus important, donc, ce sont les civils. Les personnes qui n'ont pas été habituées à se battre et qui ont eu le temps de créer des liens affectifs profonds. Tant que la nation du feu sera ce qu'elle est, il ne pourra leur accorder aucune confiance et sera heureux qu'ils soient à l'écart. S'il faut prendre les armes pour défendre ce qu'il estime juste, il est prêt à s'engager. Si l'esclavage doit perdurer un moment, c'est un moindre mal par rapport à une guerre.
+ Crois-tu en l'existence de l'élément Matière ?
Et puis quoi encore ? Einar en a assez de ces sujets créateurs d'angoisse. Si les Matière existe, fort bien, il serait très intéressant de discuter avec eux. Mais il va falloir plus que des bruits de couloir pour le convaincre de s'intéresser au sujet. Au moins une note de synthèse faite par un de ses assistants.
+ Si tu devais défendre quelque chose, une idée, un concept, une valeur ? Et si tu devais t'opposer à quelque chose ?
Il a fondé son autorité sur le fait que ses subordonnés peuvent poser des questions et argumenter, qu'ils respectent mieux un ordre qu'ils comprennent et ont envie de défendre. Le principe s'incline devant les nécessités militaires mais il essaie de le respecter et d'éviter les situations perçues comme de l'injustice.
Outre cela, Einar croit à l'idée de communauté. Ménager une place pour chacun et lui accorder de la valeur, pour le faire adhérer à un projet de groupe qui sera également son projet.
+ Si tu devais me raconter un événement du passé...
Il n'avait pas ressenti cette impression d'impuissance depuis des années. Presque dix. Le souvenir de son épouse est resté vivace depuis cette époque. Il se souvient nettement de la scène. Les images se découpent comme au couteau, incroyablement précises. Isabella finissant sa correspondance. Qui lui demande un verre d'eau. Et lui trop heureux de s'exécuter. Le temps qu'il passe à chercher un verre, la plante qu'il aurait du arroser et dont il s'occupe avant de revenir le distraient. Un bruit sourd. Ce petit côté bien éduqué qui lui conseille de poser le verre pour ne pas salir toute la maison et ... que diable fait-il ? Lorsqu'il acourre, elle gît sur le sol. Sa joue est appuyée sur le plancher, ses cheveux forment une traînée claire derrière elle. Une partie de lui sait déjà ce qu'il s'est passé, il sent cette horrible certitude parcourir ses veines, s'infiltrer comme la pluie dans le sol malléable.
De là, des cris. Les médecins arrivent trop tard. C'est incompréhensible. La vie tient à si peu de choses, lui dit-on. Les semaines suivantes. Comme une épave, entier à son chagrin. Materné par sa famille, incapable d'imaginer reprendre des fonctions. Il a demandé à ses supérieurs du temps, lorsqu'il était capable d'articuler quelques paroles. Besoin de temps. De calme.
Il a fait voeu de silence pendant une saison. Aucune parole. Quelques mots griffonnés si nécessaire. Ses affaires réunies en un sac à dos. Un peu d'argent emmené pour rassurer son père, dont il savait qu'il avait placé quelqu'un pour le suivre à très bonne distance. Direction le sud de sa région. Les errances. La pêche pour se nourrir. Le jeûne. La nage. La marche. Beaucoup de marche. Parfois presque du lever au coucher du soleil. Pour oublier les jours passés dans sa tente à pleurer, dévasté de chagrin.
Derechef quelques années après, ce même frisson glacé d'impuissance sur le lit de mort de son père. L'inéluctable. La certitude qu'il ne peut plus rien faire. Dieux, qu'il hait cette sensation. Il peut supporter l'angoisse du combat, même blessé. L'inconnu de ne pas connaître sa nouvelle affectation. La pression qu'on attend de lui. Mais l'attente muette, même en priant, lui est si difficile ...
Cette fois, il ne reproduit plus les mêmes erreurs. Malgré l'amour porté à son père, il a appris comment établir des défenses. Un fossé émotionnel qui le protège comme un mur d'enceinte. Il sait qu'il a la force intérieure de surmonter cette épreuve, qu'il sera en deuil et taciturne jusqu'à se sentir mieux.
Ceux qui le connaissait à Lucrezia n'ont pas eu besoin d'aide pour déterminer que le conseiller est du genre ... rigide. Selon la même routine, il prend le temps chaque jour d'accomplir un peu d'exercice physique, boit un verre d'eau au moins six fois par jour, replie ses affaires le matin avant de partir. Toutes ses affaires. Dans un sac à dos. Si jamais il devait s'enfuir de sa maison, il reprendrait son paquetage en un rien de temps. La moindre perturbation dans ses rituels le chiffonne.
+ Quel est l'impact des récents événements sur ta vie ?
S'il n'était pas déjà occupé en tant que Conseiller, Einar se serait pleinement investi dans une mission de garde aux frontières ou dans des groupes de maintien de la sécurité. Appartenir à un groupe est tout ce qu'il a connu jusqu'à ce que le décès de sa femme ne réveille son côté introverti.
Le bain de sang du marché est une source d'angoisse pour lui. Il a l'impression de perdre le contrôle et de se retrouver impuissant, une sensation qu'il gère toujours aussi difficilement. Il n'est pas question de laisser les choses s'enliser, et Einar s'avère partisan d'une répression. Procès équitable, mais procès et sentence quand même. Lucrezia était un symbole d'ouverture auquel il commençait à s'attacher, il a peur de le voir détruit pour de mauvaises raisons.
+ Une dernière chose...
Ce n'est pas parce qu'il a connu d'autres femmes, qu'il ne porte plus son alliance ternie. Ou qu'il a gardé dans son appartement un canif familial. Si on l'interroge frontalement, il niera tout sentimentalisme.